Thouraya - Waine enbatou

LE MALOUF AU FEMININ

 

Si l'on croit que la part de la femme dans la musique arabo-andalouse se limite aux fqirate* et aux benoutate*, c'est que l'on a une idée très réduite sur les denses chapitres inscrits par la pratique musicale féminine à travers les siècles.
Ce vaste sujet nécessite de longues pages pour en cerner fidèlement l'histoire. Comme nous n'avons pas la prétention d'en tracer toutes les lignes, nous allons nous limiter à évoquer les plus célèbres d'entre ces femmes qui ont pu s'imposer dans un monde quasi masculin, caractérisé aux 18e et 19e siècles, par la fréquentation des foundouks et autres lieux réservés aux chouyoukhs.
 
D'abord, il est important de signaler que les femmes ont joué un rôle essentiel en terre andalouse d'avant la reconquista. A Séville, les vieilles femmes enseignaient leurs chants à leurs esclaves avant de les vendre aux rois du Maroc et de Tunisie. Selon "Tifachi Sfaqsi", ces esclaves ont su enchanter les cours royales par leur maîtrise du chant et de l'instrument, au point que l'une d'entre elles connue sous le nom de "Ghariba" (l'étrangère) et qui était au service du prince musicien "El Hocein", a su créer un nouveau mode (tab'a) qui, aujourd'hui encore, est joué par les rares initiés. Ce mode s'appelle "ghribet l'hcein".
 
A Constantine et Annaba, les fqirate animent aujourd'hui la quasi totalité des fêtes familiales (circoncisions et mariages). Si la plupart d'entre elles ne se font accompagner que par des percussions et si "el ala"  (l'instrument) ne fait pas partie de leurs formations, leurs activités et leur présence marquent leur participation dans la formation du lien social et dans la préservation de cet héritage.
A l'instar de "Ramka", "Zhaira", "Khadoudja Bent El Aissani", "Bornia" et bien d'autres, Z'hor Fergani sera la plus chanceuse héritière de cette tradition.
"Chalabia" et "Ouraida El Annabia" auront marqué des générations entières en animant les fêtes familiales bônoises sur les hauteurs de "Ras El Hamra" et "Ain Achir". Et bien que cette activité soit exclusivement féminine, les années 1980/1990 ont vu émerger les figures emblématiques de "Nacer" et sa soeur "Z'hor" qui continuent d'animer les "T'hour"  (circoncisions) et les joies de Lala Bouna.
 
Les femmes qui ont œuvré sur le socle initial du Malouf sont considérées comme les références artistiques de ce style.  Parmi celles-ci, 3 noms se distinguent par une maturité artistique reconnue :
 
 
Z'hor FERGANI : (1914-1982)
Fille de Hammou, elle s'initie dans le cadre familial par l'intérêt précoce qu'elle accorde au travail artistique de son père dont elle demeure profondément imprégnée et est aussi introduite dans l'univers des benoutate par sa mère et sa tante, proches de "Khadoudja Bent El Aissani".
Elle se produit d'abord dans l'espace familial et fait par la suite jonction avec "Bent El Aissani" qui l'adoube comme héritière de la tradition. Elle entame sa carrière de benouta au début des années quarante et s'ouvre aussi au répertoire du sacré des fqirate qu'elle introduit dans ses prestations.
Symbole, des années durant, de la tradition citadine des benoutate, elle s'adapte aux normes du spectacle et donne alors des concerts publics, enregistre pour la télévision algérienne et pour des maisons d'édition.
Elle impose la voix des femmes dans les musiques constantinoises et sa trajectoire marque le zénith des benoutate constantinoises*.
 
 
BELBAYAD Thouraya :
Née en 1935 à Constantine, Thouraya découvre la musique et la danse en écoutant la radio et prend attache, à l'âge de 14 ans, avec Mohamed Derdour et l'association "Toulou' el fejr". Elle s'engage dans la carrière de chanteuse et s'oriente vers les musiques modernes orientales. Connue sous le nom de Bent El Bayad dans les milieux constantinois, Thouraya construit à partir des années cinquante une véritable carrière au sens professionnel du mot. Elle a su imposer une personnalité attachante et toujours enracinée dans la mémoire constantinoise*.
En 2000, elle déclare: "Enrico ne m'était pas étranger car il était de rahbet essouf (le vieux quartier) et nous étions à Constantine. Je connais sa famille ainsi que Raymond et son père Sylvain depuis longtemps. J'ai connu Enrico depuis ses débuts. C'est  au regretté Ahmed Hachelaf que revient le mérite de notre rencontre en France".

 
ALLOUCHE-TAMMAR Simone : (1935-1982)
Elle s'initie dès son jeune âge en suivant la formation de Raymond Leyris dans les mariages ou sur scène.
Simone se révèle d'abord dans les espaces domestique et familial à Constantine au début des années cinquante, puis au public en août 1976 en accompagnant Sylvain Ghrenassia à l'occasion de la célébration d'un mariage.
Elle renoue avec Constantine où elle conserve des attaches familiales. Elle entre en relation, à l'occasion d'un passage cette ville, avec la formation de Kaddour Darsouni qui l'accompagnera à Paris pour l'enregistrement de deux 33 T en 1981.
Les mélomanes privilégiés qui auront alors la primeur des enregistrements découvrent, souvent avec émotion, Simone, sa voix chaude et puissante à la fois, et puis l'incroyable influence de Raymond Leyris, de son phrasé si particulier. Constantine découvre celle qui fut, pour nombre de musiciens, la petite Allouche, qui donnait de la voix quand "El ala" faisait une pause et qui ne se cachait pas de suivre, chaque fois que cela était possible,  Raymond dans ses sorties. En vérité, Simone n'avait jamais perdu tout à fait le contact avec la ville, en particulier en raison des liens familiaux de sa sœur Marcelle.
La vie artistique de Simone fut, somme toute, très courte, avec seulement deux disques à son actif mais cela aura suffi pour lui accorder une place à part dans l'histoire musicale constantinoise*.
 
 
*Fqirate: Ensemble musical féminin, exclusivement vocal, rattaché aux pratiques rituelles apparentées aux confréries. Les fqirates s'appuient, au plan instrumental sur la percussion (bendir et tar) et se produisent, généralement intra-muros, pour des publics exclusivement féminins.
 
*Benoutate: Pluriel de benouta, diminutif de bent (fille).
Formation musicale féminine utilisant des instruments à cordes et à percussion et s'appuyant sur un répertoire profane. Se produisent dans l'espace domestique ou sur scène à l'intention de publics exclusivement féminins.
 
* Extraits du dictionnaire des musiques citadines de Constantine (Abdelmadjid MERDACI).

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13.05.2012 20:14